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mardi 1er octobre 2013
par  Fleuriel Sébastien
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LES MARGES DU TRAVAIL ET DE L’EMPLOI : FORMES, ENJEUX, PROCESSUS

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Classiquement en sciences sociales, l’étude des marges constitue un révélateur des changements sociaux, mais les « marges » du travail et de l’emploi peuvent-elles être pensées sans être rapportées à des « centres », constitués par des cadres normatifs, des formes « typiques » ou dominantes ? La mise en relation des marges et des centres apparaît féconde pour aborder les transformations des mondes du travail en termes de processus, de dialectique, de déplacement de frontières et de rapports sociaux. C’est aussi une manière d’interroger nos catégories de pensée (savantes ou profanes) et les catégories sociales au travail, car, pour une part, nos schémas de compréhension des sociétés au travail sont fondés sur des rapports stables/précaires, formels/informels, typique/atypique, inclusion/exclusion, prescrit/réel, centre/périphérie, travail/hors travail, etc. Ces formes d’opposition, façonnées par les mythes de la société salariale de plein-emploi des « trente glorieuses », restent un référent symbolique fort. La richesse des analyses récentes nous invite à dissocier les notions de marge et de « marginalité », à rompre avec des conceptions bipolaires du travail et de l’emploi, pour mieux envisager des complémentarités et des interdépendances. Au travers des tensions entre marges et centres, une des ambitions de ces XIVe Journées est de saisir de quelles manières l’analyse des marges du travail et de l’emploi permet de comprendre la société et ses transformations récentes. Où se situent et comment se définissent les marges du travail et de l’emploi ? Que révèlent-elles des systèmes normatifs et des manières de penser le travail ? Comment marges et centres s’articulent-ils et/ou se combinent-ils dans de nouveaux rapports socio-économiques ? Quels rapports au travail entretiennent les catégories d’acteurs situées aux marges ? Quelles capacités de résistances et de mobilisations ont-elles ? Avec quel potentiel de transformation des rapports sociaux ?

L’analyse des rapports et des dynamiques entre marges et centres pourra se décliner de différentes façons :
- par une analyse des marges qui ne cessent de se développer comme la multiplication des emplois « atypiques », notamment dans le secteur des services et du care et des formes possibles de dérogation au droit du travail. Est-ce que ce sont les marges qui se développent, l’attention qu’on leur accorde, ou traduisent-elles un éclatement des modes de structuration et de régulation du travail et de l’emploi ?
- par une analyse des effets des marges sur les centres. En quoi les marges du travail et de l’emploi affectent-elles les activités et les dynamiques du marché du travail ? Comment les centres sont-ils attaqués, recomposés, déstabilisés par les activités aux marges ? Comment les centres – leurs acteurs, leurs institutions et leurs dynamiques – contribuent-t-ils à produire les dispositifs normatifs qui les définissent tout autant que leurs marges ?
- par une analyse du déplacement des frontières entre marges et centres. Quels processus permettent de comprendre le déplacement des frontières matérielles, juridiques et symboliques entre marges et centres ? Si les marges peuvent avoir été dominées avant de devenir dominantes, comment comprendre les dynamiques qui sous-tendent ces renversements possibles ?

Plus spécifiquement, ces mises en relation marges/centres seront éprouvées à partir des processus de visibilisation et d’invisibilisation qui peuvent concerner des secteurs d’activité étendus, des groupes professionnels, des qualifications et compétences (axe I). On se penchera également sur les pratiques normatives plus ou moins formalisées qui contribuent à produire les centres et les marges (axe II). La thématique même de ces XIVe journées et le contexte qui la situe ouvrent des perspectives aux recherches internationales qui revisitent les rapports entre Nord et Sud, entre sociétés riches et pauvres, pour mettre en résonance les nouvelles dynamiques de la division internationale du travail (axe III). Nous attendons des communications qui se positionneront à partir de travaux empiriques sur les expériences vécues aux marges du travail et de l’emploi (axe IV), ou dans le registre des mobilisations et des formes renouvelées de résistance (axe V). Ces axes sont en même temps une ouverture aux réflexions épistémologiques. Ils sont une invitation à définir et questionner les manières dont s’articulent marges et centres pour chaque recherche présentée.

• Axe I : visibilisation et invisibilisation du travail

Ce premier axe s’intéressera aux processus qui contribuent à visibiliser ou à invisibiliser le travail, l’emploi, les professions et groupes professionnels. Les communications pourront porter sur le travail déconsidéré ou non reconnu comme tel, à travers des recherches qui situent habituellement leurs objets aux marges du travail salarié, comme le travail de la famille et de la parenté, le travail domestique, de subsistance, associatif, politique, militant, syndical, bénévole, amateur, artistique, carcéral, d’autoformation, d’apprentissage non certifié, de recherche d’emploi, etc.
On s’intéressera également à la visibilisation/invisibilisation des travailleurs sans statut, non reconnus comme professionnels, et qui peuvent s’engager ou non dans des mouvements pour leur reconnaissance et leur professionnalisation. Les processus de consécration ou de marginalisation des groupes professionnels sont souvent révélateurs de changements sociaux, en lien avec des phénomènes de (dé)qualification, de restructuration, de naturalisation des savoirs ou d’évaluation du travail. On pourra se demander ce que révèlent les dynamiques de valorisation ou de dévalorisation de certains groupes ou métiers autrefois marginaux, comme les gestionnaires, les « experts », ou centraux, comme les ouvriers, les enseignants. Comment se joue la reconnaissance de la qualification et du travail des femmes employées dans les métiers du care, des consultants, des retraités et des stagiaires, des travailleurs migrants ou issus de l’immigration, tels que les agents de sécurité, médiateurs ou « nounous » ? Dans cette perspective, comment s’évaluent les savoirs et le travail à travers les dynamiques de sexe, d’âge, de race et de classe ?

• Axe II : les processus normatifs en question. Activités formelles et informalités

L’axe 2 s’intéressera plus particulièrement aux processus de codification et de détermination des activités et du travail considérés comme formels ou informels. Certains courants envisagent l’informalité comme structurelle, attachée durablement à des pans entiers de l’économie (petit commerce, auto-entreprise, récupération, services à la personne) qui permettent de réfléchir autrement le rapport à un état de précarité de la population qui pousserait à l’informalité, et la production de l’informalité par des secteurs d’activité étendus (construction, recyclage, finance, etc.). Sous un autre angle, la production normative de l’informalité renvoie aux formes de régulation étatiques, à l’évolution des modes de gestion de la main-d’œuvre qui, en établissant par exemple des critères d’employabilité ou d’inemployabilité, tendent à brouiller les frontières entre sphères professionnelles et privées, à accaparer le temps libre, ou à mobiliser la subjectivité.
Inversement, d’autres dynamiques contribuent à des phénomènes d’extrême formalisation de certains secteurs d’activité (médico-social, industries à risque, relations aux usagers-clients) et plus largement à de nouvelles formes de rationalisation véhiculées par les politiques publiques, les dispositifs gestionnaires qui interrogent les tensions classiques entre travail prescrit et travail réel, entre règles et transgressions, ainsi que les « marges » de manœuvre qui leur sont associées. Comment comprendre les processus qui poussent au déploiement de ces informalités, mais également au renforcement des prescriptions et règles de contrôle ? Comment penser les frontières entre formel et informel ? Comment appréhender les nouvelles régulations socio-économiques qui émergent de cette tension ?

• Axe III : nouvelles dynamiques de la division internationale du travail

En référence aux centres d’impulsion du capitalisme et à leurs zones périphériques et subalternes, l’axe 3 questionnera les processus d’externalisation, de sous-traitance en cascade, de délégation (de services publics par exemple), de délocalisation, mais aussi de démultiplication des employeurs dans certains secteurs comme la construction, les services à la personne ou le nettoyage, la banque et la finance, qui rendent les structures juridiques moins pertinentes pour saisir les réalités du travail et les conditions d’emploi. Ces transformations ont des effets sur le sens et la centralité accordés au travail, sur les identités professionnelles, et sur les capacités d’agir collectivement. On s’intéressera également à la division du travail au niveau international, avec des processus d’industrialisation et de désindustrialisation, de spécialisation par secteurs ou zones géographiques, et ce qu’ils provoquent en termes de reconfigurations productives, salariales, organisationnelles, d’interdépendances ou de cloisonnements. Comment situer et analyser les nouveaux centres de production, de décision ? À partir des marges, la question se pose des lieux habituellement investis (entreprises, administrations, usines, travail à domicile, etc.) et leurs conséquences sur les territoires. De quelles manières appréhender les nouveaux espaces du travail concentré, déconcentré, pour réfléchir les formes d’organisation, les rapports au travail et son contrôle ?

• Axe IV : expériences et subjectivités dans les activités aux marges

Ce quatrième axe de travail sera centré sur les expériences et les pratiques de catégories de travailleurs situées aux marges des normes dominantes, que leurs situations soient un préalable à l’intégration ou à l’exclusion des marchés du travail, ou à un maintien en dehors des cadres normatifs telles que l’expérimentent les individus situés aux marges de l’emploi, comme les chômeurs, les salariés en reconversion professionnelle, ou les stagiaires, allocataires de revenus de solidarité active, mais également aux marges du travail légal, comme les travailleuses du sexe… Comment ces travailleurs font-ils au quotidien pour produire une possibilité de vie ? Quelles sont leurs trajectoires sociales et professionnelles ? On s’intéressera tout autant aux expériences vécues dans le salariat intégré en s’interrogeant aux effets de l’absence de perspectives dans les carrières, aux formes de relégation au travail, etc. De quelles manières les frontières instituées entre public et privé, productif et reproductif, légal et illégal se maintiennent, se diluent ou se déplacent ? Il s’agira de penser la manière dont les individus font face aux injonctions souvent contradictoires (techniques, sociales, éthiques, émotionnelles) que leur activité convoque et mobilise, et avec lesquelles ils doivent composer pour trouver des réponses qui leur semblent justes, légitimes, voire « professionnelles ». Les analyses pourront notamment convoquer une réflexion sur les activités de soin, de service et d’assistance qui se situent au croisement de plusieurs sphères (publique et privée ; salariée et non salariée ; formelle et informelle) et participent de plusieurs systèmes (domestique, extra-domestique, coopératif…), tout en interrogeant plus fondamentalement le rapport à l’État et la manière dont nos sociétés abordent le risque social et l’insécurité. Quels sont les effets sur la santé de ces expériences en marges. Plus largement, que nous disent ces expériences vécues des marges et des centres ?

• Axe V : mobilisations, résistances et nouvelles formes de conflictualité

L’axe 5 s’intéressera aux espaces de résistances et formes de mobilisation des travailleurs situés aux marges des relations professionnelles. Dans la filiation des travaux qui explorent les capacités des « sans » (sans papiers, sans travail…) à se mobiliser, il s’agira de questionner la capacité des organisations, notamment syndicales et associatives, à représenter les intérêts des intérimaires, des saisonniers, des bénévoles, etc. Dans une perspective internationale, nous interrogerons la centralité des instances représentatives selon les zones géographiques, et les capacités de renouvellement des organisations syndicales. A quels niveaux se jouent les actions, les revendications et les représentations ? Avec quels effets sur les formes de conflictualité ? Nous chercherons également à éclairer les stratégies alternatives de représentation (coordinations, collectifs, associations…) qui recourent à des formes de mobilisation échappant à l’encadrement syndical, dans les entreprises ou en dehors. Comment ces mobilisations émergent-elles ? Comment questionnent-elles les pratiques et les répertoires d’action ? Contribuent-elles à déplacer les frontières du monde du travail ? En examinant ces résultats, la sociologie du travail parviendrait alors à saisir les transformations récentes que connaissent nos sociétés.


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